Panorama de la jurisprudence 2023
Selon la définition de la nomenclature DINTILHAC, accorder à une victime une aide en tierce personne vient à compenser son besoin d’assistance dans les démarches et plus généralement les actes de la vie quotidienne.
Que ce soit en expertise médicale amiable ou judiciaire, ou devant les juridictions, ce poste de préjudice fait souvent l’objet de vifs échanges.
Il est de ceux dont la capitalisation de l’indemnisation peut représenter pour le tiers payeur un poste de préjudice conséquent. Or, si l’on en croit l’essence même du principe de réparation intégrale du préjudice, l’indemnisation de la victime doit permettre à cette dernière de la replacer dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant son accident.
Au regard de la multiplication des décisions jurisprudentielles de ces dernières années, qui met en avant les âpres discussions qui ont lieu devant les juridictions, il m’apparait utile de s’arrêter sur l’année 2023, et de voir toutes les subtilités de ce poste de préjudice.
- Précisions sur les actes de la vie courante :
L’utilisation générique du terme « acte de la vie courante » semble devoir être explicité tant il fait débat lors des expertises.
Si certains actes de la vie courante semblent similaires pour tous (ménage, cuisine, courses …), il ne peut être nié qu’ils varient drastiquement selon la situation et l’environnement de la victime.
Les actes de la vie courante diffèrent donc en réalité en fonction des victimes.
Aussi, la Haute juridiction reconnaît volontiers qu’au cours de l’évaluation de ce poste, il est impératif de prendre en compte l’environnement et le mode de vie de la victime dans l’évaluation de sa perte d’autonomie.
Cette approche dérange souvent les tiers payeurs car elle oblige à prendre en considération des besoins particuliers à chacun et donc difficilement quantifiable et « budgétisable » à l’ouverture du dossier.
D’autre part qui va constater et évaluer ces besoins spécifiques ?
Les médecins experts estiment que cela ne fait pas partie de leur mission et de leurs compétences médicales.
Or, le besoin en tierce personne est évalué par l’expertise médicale.
Et les magistrats sans remettre ce point en cause précisent l’étendue des besoins en tierce personne de la victime :
La Cour de cassation interprète strictement la loi en reconnaissant ainsi par exemple :
- Qu’on ne peut refuser à une victime l’assistance par une tierce personne au motif que, depuis la date de consolidation, elle ne se trouvait pas dans l’impossibilité de réaliser les tâches ménagères légères. (Cass., 2ème, 6 juillet 2023, n°22-19.623)
- Qu’est légitime le besoin pour une victime qui avait une vie culturelle et sociale d’obtenir l’aide d’une tierce personne pour l’accompagner dans ces moments de vie pour lesquels il lui est désormais impossible de s’y rendre seul (Civ. 2., 19 févier 2022, n°2019.356).
- Que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne y compris, le cas échéant, l’entretien de son jardin (Cass., civ, 2ème, 25 mai 2023, n°21-24.825)
- Qu’on ne peut obliger la victime à vivre d’une manière dictée par l’économie faite au régleur :« On ne peut pour limiter les besoins de Mme X au titre de l’aide d’une tierce personne à une moyenne de 20 heures par an, désormais, lui imposer la prestation de livraison à domicile proposée par de très nombreux professionnels, y compris de l’alimentaire » ( Cass, Civ 15 décembre 2022, n°21-16.712)
Le besoin en aide humaine n’est donc pas uniquement destiné aux personnes dans l’incapacité d’accomplir seules les actes essentiels de la vie courante relatifs à l’alimentation, le lever, le coucher, la toilette, l’habillage et les déplacements à l’intérieur du logement.
Ce besoin est personnalisable et doit permettre à la victime autant que faire se peut d’avoir la même vie qu’avant l’accident dont elle a été victime.
- L’évaluation du besoin en tierce personne
Il résulte de cette jurisprudence qu’il est nécessaire que l’expertise médicale se déroule sur le lieu de vie de la victime pour être au plus proche de ses besoins. L’expertise écologique permet une appréciation au plus près du quotidien de la victime et l’expert peut ainsi mieux appréhender ses besoins.
- Et pendant le temps d’hospitalisation ?
Il semblait être d’usage d’évaluer le besoin en tierce personne à compter de la sortie d’hospitalisation au motif que pendant leur hospitalisation les besoins en aide humaine sont pris en charge par les services hospitaliers, selon les régleurs.
Pour ces derniers « la rétribution supplémentaire d’une tierce personne pendant la période de déficit fonctionnel temporaire total est donc sans objet »
Or il n’en est rien. Les besoins de la vie quotidienne subsistent pendant cette période, la victime étant contrainte d’avoir recours à des tierces personnes pour l’assister notamment dans la gestion des courriers des compagnies d’assurance (Cass, Civ 1, 8 février 2023, n°21-24.991)
- L’aide à la parentalité
Son but est d’apporter de l’aide à la victime dont les séquelles ne lui permettent plus de faire face à ses obligations parentales.
La sortie du décret n°2020 1826 du 31 décembre 2020 relatif à l’amélioration de la prestation de compensation du handicap a eu le mérite de souligner les besoins en aide à la parentalité.
Il s’inscrit cependant dans une participation solidaire de l’Etat pour les personnes en situation de handicap.
Qu’en est-il de l’indemnisation judiciaire ?
Ce droit est reconnu par les juges depuis quelques années notamment depuis un arrêt du 14 décembre 2016 ou il est précisé qu’il s’agit d’un poste de préjudice autonome. ( Cass. Civ. 1ère, 14 décembre 2016, n°15-28060)
Il appartient aux magistrats saisis d’une demande en ce sens, de se prononcer sur le besoin futur en aide humaine de la victime, parent souffrant d’un handicap, dans l’entretien et l’éducation de ses enfants, en anticipant l’évolution de ce besoin en fonction de l’âge des enfants. (Cour d’appel de Paris, 10 février 2020 n°18/02595)
« L’évaluation à une heure par jour est insuffisante si on considère que pendant les périodes où M. [B] devait s’occuper seul de sa fille, soit lorsque son épouse travaillait, il n’était pas en mesure de réaliser seul, en toute autonomie et dans des conditions de sécurité appropriées à la prise en charge d’une enfant de deux ans, toutes les tâches d’entretien de celle-ci » (Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 09 février 2023, RG n° 21/09968)
Il ne saurait donc être appliqué le nombre d’heure forfaitaire dans l’évaluation d’un besoin en aide à la parentalité pour les victimes avec un tiers responsable.
En guise de conclusion il apparait indispensable d’apprécier in concreto les besoins d’une victime.
Et afin d’éviter d’ultérieures contestations des régleurs ne vaudrait-il pas mieux apporter ces précisions dans les missions expertales ?
Maître Anna Leszczynski